Chroniques, Regards sur le Haut Agenais

Des noisettes et des hommes (partie 2)

Du verger au laboratoire de biocontrôle


Au verger poussent les noisetiers dans une savante harmonie géométrique. Ils sont l’objet d’une surveillance attentive et de soins innombrables tout au long de l’année, selon les préconisations des experts de l’Association Nationale des Producteurs de Noisettes et d’Unicoque, présents à la coopérative Unicoque ou selon les conseils qu’ils dispensent sur place lorsqu’un problème particulier se pose. En amont, lors de la création du verger, il a fallu d’abord choisir des variétés convenant le mieux à l’objectif commercial qui a été fixé.

Le Corylus avellana L. a engendré de très nombreuses variétés qui ont été mises au point selon des critères précis, en particulier selon l’usage qu’on veut faire de la noisette… noisette de table (fruits en coque issus de variétés à gros calibre) ou bien noisette décortiquée, destinée à l’industrie agro-alimentaire. Sujets passionnants mais complexes, réservés aux professionnels !


Au verger sont aussi hébergés, en dehors des charmants écureuils, toutes sortes d’agents responsables de maladies, bactériennes, virales, cryptogamiques (dues à des champignons), ainsi que des insectes et acariens dont on dénombre pas loin de 300 espèces… Heureusement, bien moins sont réellement nuisibles ! Mais parmi les plus redoutables des ravageurs, capables de détruire, certaines années, plus de 70% d’une récolte, on retiendra d’abord le balanin des noisettes, connu de très longue date et ayant fait l’objet de très nombreuses études… et la punaise diabolique, apparue plus récemment.

Le balanin des noisettes, curculio nucum L. Sa vie. Ses avatars.


C’est un petit coléoptère, appelé encore charançon des noisettes à l’état d’insecte, ou ver de la noisette à l’état de larve. L’insecte adulte mesure 6 à 9 mm. Son corps, couleur de bois, et entièrement recouvert d’un fin duvet brun, est prolongé par une petite tête portant deux gros yeux noirs et un rostre arqué presque aussi long que le reste de son corps. Curieusement, au premier quart de sa longueur, le rostre porte une paire d’antennes coudées extrêmement fines. Le balanin réalise son cycle de vie sur une durée de 2 à 5 ans, en moyenne. Les jeunes adultes, mâles et femelles, apparaissent au début du mois d’avril et commencent à se nourrir avec voracité de jeunes fruits en formation qu’ils trouvent sur les haies voisines, puis, fin mai, début juin, s’envolent vers les vergers de noisetiers, en pratiquant des « piqûres de nutrition » sur les « involucres » (nom donné à la collerette de petites feuilles qui enrobe la noisette). à ces piqûres des deux sexes s’ajoutent les « piqûres de ponte » des femelles. Au total, toutes ces piqûres peuvent entraîner déjà certains problèmes rendant une partie des noisettes impropres à la consommation.


La copulation commence fin mai, début juin, pouvant se poursuivre jusqu’à la fin du vol de migration. La femelle, quelques jours plus tard, se met en devoir de procréer. Elle choisit de jeunes noisettes, encore vertes mais assez grosses pour y planter son rostre, plus long et plus puissant que celui des mâles. Prenant appui sur ses pattes griffues, elle trouve, à la base du fruit, l’endroit où le bois de la coque est le plus tendre et le perce d’un petit trou qui cicatrisera très vite et restera invisible. Le rostre entaille la coque sous l’involucre, endroit idéal pour y loger un œuf ! C’est alors que du fond des entrailles de madame Balanin sort un « ovipositeur », aussi long que le rostre, qui lui permettra de glisser l’œuf dans l’entaille de la coque. De cet œuf minuscule sortira une petite larve qui n’aura de cesse de « grignoter » l’amandon. Une fois son œuf pondu, la femelle s’en va vers une autre noisette pour y pondre un autre œuf. Le nombre d’œufs pondus ne dépasse pas 20 à 30 par femelle. La durée d’incubation de l’œuf et celle du développement larvaire jusqu’à son stade final (la larve passant par quatre stades successifs) demande au total 33 jours.


Et maintenant ?…la larve, devenue suffisamment grosse, cherche à sortir. À son tour de creuser, avec d’énormes efforts, un passage suffisamment grand. (Ce trou de sortie est assez visible pour entraîner le refus de la noisette, tant au moment de l’agréage, à la coopérative, qu’à l’heure de la consommation.) Alors c’est la chute, entre les branches et les feuilles. Cette larve ne craint rien, même si elle se trouve assez haut perchée dans l’arbre, car on la dirait faite en caoutchouc. Arrivée au sol, au pied du noisetier, elle dispose de moins d’un quart d’heure pour s’y enfouir, puis s’enfonce entre 10 et 25 cm pour y hiverner. Elle se confectionne une coque terreuse où va s’opérer la nymphose, dernier stade de transformation de l’insecte, entre larve et imago, forme adulte définitive. Cette transformation peut demander entre 2 et 5 ans. On conçoit que la lutte contre le balanin soit rendue très difficile dans ces conditions.

Halyomorpha halys L. ou punaise diabolique


C’est une punaise apparue depuis 2014 dans les vergers de noisetiers français. Elle est dite polyphage (se nourrissant de plusieurs plantes autres que le noisetier) et n’est pas non plus la seule espèce de punaise à s’attaquer aux noisetiers. Mais entre toutes, ce serait elle la plus impliquée des punaises, dans les dégâts observés sur les noisettes. Peu d’études à son propos ont été réalisées. Il est donc important et urgent d’étudier son comportement et la nature des dommages dont elle est responsable, afin de trouver des moyens de lutte efficaces contre cette punaise atypique.
Entre 2016 et 2017, la production française de noisettes a fortement chuté, retombant de 9 500 à 6 500 tonnes. Cette diminution ayant été imputée à une augmentation des attaques de punaises, les conseillers de l’ANPN et d’Unicoque se sont retrouvés dans un contexte particulièrement préoccupant. En effet, aux contextes agronomique et économique (devant être pris en considération pour assurer une meilleure rémunération des producteurs et, à une plus grande échelle, la compétitivité de la France sur les marchés européen et mondial) s’ajoutait maintenant un contexte biologique…

Lutte chimique ou contrôle biologique ?


La lutte chimique a connu sa belle époque ! Une étude scientifique relate qu’en 1949 le D.D.T. fut employé avec succès, en pulvérisation, par Martin (l’un des spécialistes du balanin) dans des plantations de Taragone en Espagne. La noisette est l’une des cultures fruitières les moins gourmandes en produits phytosanitaires. Mais tous ces traitements, dont la liste s’est allongée avec des autorisations, puis raccourcie avec des interdictions, sont de plus en plus mal acceptés par les scientifiques et l’opinion publique. Depuis de nombreuses années déjà, l’ANPN et Unicoque associées sont très attentives aux problèmes qui se posent entre la double nécessité de mener une lutte efficace contre les ravageurs de la noisette et de trouver des alternatives aux pesticides, alternatives conçues dans le plus grand respect de l’environnement et de la santé humaine. D’où l’obligation de chercher d’autres voies que la lutte chimique et de décider la création d’un laboratoire d’étude consacré à la recherche de solutions de biocontrôle.

Le laboratoire entomologique de biocontrôle – Ses recherches, ses objectifs :


C’est le lieu des recherches menées actuellement par Rachid Hamidi, Docteur en Entomologie à l’ANPN et Maud Thomas, Docteure et Ingénieure agroalimentaire chez Unicoque-ANPN. C’est un laboratoire entomologique engagé dans la recherche de solutions de biocontrôle des insectes ravageurs de la noisette. En oubliant les pesticides, on peut imaginer des solutions écologiques comme la « lutte biologique » ou bien des procédés de biocontrôle.


La lutte biologique repose sur un principe séduisant qui utilise des prédateurs « parasitoïdes », pathogènes spécifiques des nuisibles auxquels on veut s’attaquer. Par exemple, la seule fonction de la femelle d’un insecte parasitoïde consiste à trouver un hôte pour y déposer ses œufs, en confiant à sa descendance le soin de dévorer l’hôte en question. Mais pas n’importe lequel. L’hôte doit n’appartenir qu’à une seule espèce d’insecte ravageur de la noisette. Cette méthode est utilisée par Unicoque pour lutter contre les ravageurs des denrées stockées, tels que la mite indienne et est à l’étude concernant les autres ravageurs.


Le biocontrôle est un ensemble de méthodes de protection des végétaux basé sur l’utilisation de mécanismes naturels et sur les interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel. Ainsi, le principe du biocontrôle repose sur la gestion des équilibres des populations d’agresseurs plutôt que sur leur éradication. Ces solutions écologiques font appel à des médiateurs naturels comme des phéromones ou des kairomones. Les phéromones sont des substances émises par la plupart des animaux et certains végétaux. Les plus connues sont, par exemple, les phéromones sexuelles ou les phéromones royales chez les abeilles. Les kairomones sont des substances volatiles ou mobiles, émises dans l’air, l’eau ou le sol, par une plante, un champignon, un animal… qui déclenchent une réponse comportementale chez une autre espèce à laquelle elles procurent un bénéfice. Il s’agit, par exemple, des odeurs de la noisette (attractifs à base de kairomones) ou d’odeurs émises entre congénères (attractifs à base de phéromones).

Sa visite :


Des grandes pièces lumineuses et partout des petites bêtes dans des petites boites… En fait, les insectes retenus pour les recherches menées sur les plus nuisibles ravageurs de la noisette concernent le balanin, la punaise diabolique, la punaise verte des bois, la mite alimentaire, la mouche du brou. Deux grandes enceintes climatiques permettent de contrôler la lumière et la température en leur sein, afin de mettre les insectes qui s’y trouvent dans des conditions de conservation optimales. Les recherches actuelles portent sur les odeurs, attractives ou répulsives. Pour cela, il faut récupérer les odeurs de noisette à l’aide d’un dispositif particulier (une micro-seringue qui capte les composés volatiles.) Les seringues contenant les odeurs captées sont ensuite adressées à l’INRA de Versailles où elles sont analysées. Avec les résultats obtenus, le laboratoire de l’ANPN s’emploie, avec des produits de synthèse et un olfactomètre, à reconstituer le parfum naturel de la noisette qui va être utilisé comme piège et permettre de contrôler des populations d’insectes.
L’association entre l’INRA de Versailles et l’ANPN, dans la recherche de solutions de biocontrôle, date de 1995. L’INRA de Versailles est l’un des centres de recherche les plus avancés en France, notamment dans le domaine des médiateurs chimiques, phéromones et kairomones.

Références scientifiques :
Dr Rachid Hamidi Ph D . PostDoc/Researcher . «rachid.hamidi.bio@gmail.com»
ANPN/Unicoque : « Lamouthe ». BP 10 . 47290 Cancon – http://www.unicoque.com
INRA, UMR 1392 : route de Saint-Cyr .78026 Versailles – « rachid.hamidi@inra.fr»
«www-physiologie-insecte.versailles.inra.fr» – «iées-parisufr918.upmc.fr

Joselyne Vionnet – SLA n°653-654-655 – Mars, avril, mai 2020