Chroniques, Regards sur le Haut Agenais

Des noisettes et des hommes (partie 1)

Une belle histoire d’hommes et de rencontres


Le noisetier, qui existerait sur notre planète depuis 70 millions d’années, était bien implanté en France à l’état sauvage, mais c’est seulement depuis une cinquantaine d’années, à partir de 1970, qu’il fit l’objet d’études approfondies devant permettre de le cultiver en vergers, dans le Lot-et-Garonne, d’abord. Ce fut un groupement d’agriculteurs qui se lancèrent dans l’aventure, comme d’autres, longtemps avant eux, avaient développé l’implantation du pruneau. À partir des années 1970, l’agriculture est entrée dans une période de pleine mutation et de pleine réflexion pour ses agriculteurs. Parmi les pruniculteurs de Cancon, une poignée d’hommes déjà unis comme les doigts de la main, se rapprochèrent dans une position de pionniers. En effet, au sein du groupe constitué de l’ensemble des producteurs, deux attitudes se sont dégagées : les uns avaient un esprit pragmatique, solidement ancré dans ses habitudes, prudent et se méfiant de la nouveauté ; les autres, moins nombreux, avaient un caractère plus entreprenant, plus aventureux, plus visionnaire. Entre eux, il y eut débat démocratique, sans rupture, débat reposant (pour schématiser)sur deux questions essentielles : d’abord, fallait-il ou non adopter la noisette en complément du pruneau ? Réponse positive, favorisée par l’urgence d’une solution économique à trouver et par la conscience (partagée) du risque qu’une mauvaise météo de printemps pouvait toujours entraîner sur la récolte de fin d’été. Cette crainte ne tarda pas à se justifier avec les gels tardifs des années 1975 et 1977 qui, détruisant la plus grande partie des bourgeons et des fleurs de pruniers, ont gravement compromis les récoltes. À ce risque grave, imprévisible, s’ajoutait l’avantage d’un matériel (l’outil de séchage, surtout) utilisé pour le pruneau et réutilisable pour la noisette. La seconde question, plus facile à trancher, se rapportait au lieu d’implantation : Marmande ou Cancon ? À part sa position proche de l’autoroute, Marmande avait peu d’atouts face à Cancon (où on cultivait déjà le prunier…)


C’est alors que notre poignée d’aventuriers, les premiers à créer quelques vergers de noisettes, décidèrent de partir, dans l’Oregon (USA) et dans plusieurs pays d’Europe renommés pour l’importance de leurs productions de noisettes et leurs connaissances tant scientifiques que pratiques. A leur retour, ces producteurs passionnés voulurent créer « un verger moderne, productif et répondant aux contraintes du marché européen »… (selon le Président Alain Crouzet qui a signé la préface de la monographie sur le noisetier, ouvrage de référence faisant la synthèse des connaissances sur cette espèce et sa culture.)

Trois instances scientifiques de poids : l’INRA , l’ANPN et le CTIFL comme supports scientifiques et techniques de la coopérative Unicoque


1/ L’INRA, Institut National de la Recherche Agronomique, a été fondé en 1946 et dissout en 2019, pour renaître sous le titre d’EPST, Établissement Public à caractère Scientifique et Technologique. L’INRA a toujours eu et garde, en tant que EPST, des partenariats scientifiques avec les grands instituts de recherches du monde, avec les universités et l’enseignement en général.

2/ L’ANPN, Association Nationale des Producteurs de Noisettes, est une association Loi 1901, à l’origine de l’organisation de la filière Noisettes de France. Elle a été créée en 1971 et a joué un rôle capital dans la production de la noisette en France. Elle est soutenue par plus de 350 producteurs actuellement, qui représentent plus de 98% de la production nationale et sont adhérents à la coopérative Unicoque située à Cancon. L’ANPN cumule des fonctions scientifiques : Bio-contrôle ou ensemble des méthodes de protection des végétaux dont un laboratoire entomologique engagé dans la recherche de solutions alternatives écologiques contre des insectes ravageurs. (Ce sujet sera traité dans notre seconde partie). Parmi divers sujets de recherches, l’ANPN cumule aussi de nombreuses fonctions d’ordre pratique, comme la création du verger et la conduite des arbres, la taille d’entretien, le greffage, l’irrigation, l’entretien du sol…(liste non exhaustive). S’ajoutent enfin de nombreux stages de formation organisés pour les agriculteurs afin de partager de nouvelles connaissances acquises et de leur proposer des outils techniques nouveaux, capables d’optimiser la productivité de leurs vergers.


3/ Le CTIFL, Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes, dont les fonctions de recherches, de communication et de publications, sur les fruits à coque, sont complémentaires de celles de l’ANPN.
En définitive, il semble bien que la culture du noisetier en verger ait été spécialement privilégiée par la mise en commun de tous ces supports de hauts niveaux.

Une fusion réussie


Dès sa création, en 1971, l’ANPN s’installe à Bordeaux, dans les locaux de l’INRA, où ses membres vont pouvoir s’initier aux recherches sur les noisettes et les poursuivre à leur tour. Quant à la coopérative Unicoque, elle est créée en 1979 : d’abord hébergée à Casseneuil dans les locaux de France-Prune, pour rejoindre Cancon, deux ou trois ans plus tard, à côté de la Coopérative des Pruneaux. À son tour l’ANPN arrive à Cancon,dans les années 2000 et s’installe dans les locaux d’Unicoque en les partageant avec elle. Matériellement, voici les deux « têtes » de la Noisette enfin réunies. Une seule offre, de marque forte ! Cette union était une nécessité. Ensemble, elles constituaient une entité plus forte, un élément moteur indispensable, avec un nom et cela dans l’harmonie du travail partagé, puisque l’une et l’autre avaient des compétences complémentaires et non concurrentes. Unicoque reste une coopérative à l’échelon humain. Ce sont ses producteurs-adhérents qui prennent part aux décisions.

Une filière en pleine croissance avec de belles perspectives d’avenir


Comparée à celles des principaux pays producteurs de noisettes, la France n’avait encore qu’une place très modeste dans les années 1975 à 2003, avec 223 hectares de noisetiers entre 1974 et 1978, 378 dans la décennie suivante et 570 entre 1999 et 2003. En 2019, la Coopérative Unicoque de Cancon, qui représente à elle seule 98 % de la production de notre pays, a réussi à atteindre une production globale de 10 000 tonnes qu’elle projette de doubler en 2030. Dans cet objectif, un vaste programme de plantation est envisagé afin d’augmenter cette production (525ha cette année, puis 350ha par an, dont 70 % sur l’Aquitaine et l’Occitanie). En dépit de ces bons résultats et de ces bonnes perspectives réalisables, la production actuelle française ne représente que le centième du marché mondial (1 000 000 de tonnes selon l’INC). Elle représente pourtant 65 % du marché européen de la « noisette de table », vendue dans sa coque. Ajoutons que la noisette française, en particulier la noisette de table d’Unicoque, jouit d’une renommée excellente en matière de qualité. À titre de comparaison, rappel des productions selon les sources INC de 2019 : Turquie : 770 000 tonnes (ce qui représente les trois-quarts de la production mondiale) ; Italie : 90 000 t ; États Unis (Oregon) : 43 000 t ; Espagne : 18 000 t … la France n’étant qu’au dixième rang avec 10 000 t.


Grâce aux moyens modernes qu’elle se donne dans le domaine de la mécanisation de la récolte, du séchage et du tri, la Coopérative Unicoque apporte aux producteurs du Grand Sud-Ouest une opportunité de développement contrôlée et réussie. Elle offre aussi un important vivier d’emplois (environ 500) : pour un emploi chez Unicoque, trois emplois sont générés en Nouvelle-Aquitaine (étude CRIEF de l’Université de Poitiers).

On comprend mieux pourquoi Cancon est devenue la « Capitale de la noisette » !

Sources : Différents documents fournis par Unicoque. Monographie « Le noisetier », écrite par Éric Germain (INRA de Bordeaux) et Jean-Paul Sarraquigne (ANPN), éditée par les Éditions du CTIF. Statistiques INC -2019. CRIEF de l’Université de Poitiers, données 2015-2016, 2016-2017.
Avec mes remerciements à Jean-Pierre Reigne, président de la Coopérative Unicoque de Cancon pendant douze ans ; à Maud Thomas, Docteur et Ingénieur agroalimentaire chez Unicoque ; ainsi qu’à Rachid Hamidi, Docteur en entomologie, à l’ANPN. (suite dans le prochain numéro 653, mars 2020 de SLA)

Joselyne Vionnet – SLA n°652 – Février 2020